EN QUÊTE

un projet de Laurent de Richemond, Stéphanie Louit, Boris Szurek

création théâtrale / écriture du réel / art et science

premières étapes de recherche / missions "in situ" / 2024-2025

du 18 au 30 Novembre 2024 : La Réunion / Madagascar

du 17 Février au 08 Mars 2025 : Tanzanie

projet de création

2026 / 2027

Théâtre - Art et Science

une écriture du réel autour du travail de recherche du Dr. Boris Szurek

(microbiologiste, directeur de recherche en biologie comportementale à l’IRD de Montpellier)

une recherche artistique s'inscrivant dans le projet international "SABRE"

(Stopper l’Attaque de la Bactériose vasculaire du Riz Émergente dans l’océan indien)

production : Compagnie Soleil Vert / coproduction : IRD Montpellier - Projet SABRE

partenaires de production et de diffusion en cours pour la création du spectacle en 2026-2027

Quête :

(du latin quaerere : chercher) Action par laquelle on cherche à trouver, à découvrir… Recherche obstinée de quelqu’un, de quelque chose… Action du chien ou du chasseur qui cherche la voie du gibier… Action de demander et de recueillir des dons, des aumônes pour soi ou pour les pauvres…

Enquête :

Recherche de la vérité par l’interrogation de témoins et la réunion d’éléments d’information… Recherche effectuée pour faire la lumière… Opération qui a pour but la découverte de faits, l’amélioration des connaissances ou la résolution de doutes et de problèmes… Recherche poussée d’informations avec le but de l’exhaustivité dans la découverte, et volonté de rendre public ces informations collectées… Ensemble des investigations relatives à la commission d’une infraction… Le terme « enquêter » a donné aussi le dérivé « histoire » (recherche, connaissance acquise par l’enquête, récit)

Bactérie :

Micro-organisme formé d'une seule cellule, sans noyau, à structure très simple, considéré comme ni animal ni végétal. La bactérie se divise pour se reproduire, elle n’a pas besoin d’un autre.

La production du riz dans l’Océan Indien voit depuis peu sa stabilité être menacée par l’émergence récente d’épidémies à bactériose vasculaire (aussi appelée « Bacterial Leaf Blight » ou BLB), une maladie causée par la bactérie phytopathogène Xanthomonas oryzae pv. oryzae (Xoo) dont l’impact sur les rendements peut atteindre jusqu’à 30% de pertes (Nino-Liu et al., 2006). Alors qu’elle était uniquement présente en Asie et en Afrique de l’Ouest, la BLB a pour la première fois été décrite en 2019 à Madagascar (https://rfi.my/AHGx) et en Tanzanie (https://rfi.my/9h8A).

Suite à ces observations, un suivi épidémiologique annuel réalisé jusque 2023 dans ces deux pays a permis de montrer que la BLB avait envahi la Tanzanie et Madagascar en un temps record, tant au niveau de périmètres irrigués que de zones de cultures de bas-fond. Selon des études de terrain menées en 2023 au Nord de la Tanzanie, des taux d’incidence de la maladie de l’ordre de 90% ont été enregistrés dans certaines parcelles avec des pertes de production de près de 50%.

Une analyse phylogénomique a été entreprise afin de déterminer l’origine des souches responsables de ces phénomènes d’émergences en Tanzanie et à Madagascar, révélant que ces dernières étaient très proches de souches originaires d’Asie. En particulier, les souches de Tanzanie sont apparentées à des souches de la Province du Yunnan en Chine, tandis que celles retrouvées à Madagascar sont à relier à des souches originaires d’Inde. Ces résultats suggèrent fortement que la BLB a été introduite sur Madagascar et en Tanzanie de façon accidentelle via des semences contaminées provenant d’Asie.

L’ensemble de ces résultats résulte d’étroites collaborations menées depuis plusieurs années entre le FOFIFA, le Cirad et l’IRD pour Madagascar, et le TARI, l’IRRI et l’IRD pour la Tanzanie. Le projet que nous souhaitons proposer ici repose donc sur les fondations d’un partenariat solide et déjà opérationnel, que nous souhaitons décliner sur l’ensemble de la sous-région en incluant d’autres pays potentiellement à risque.

En effet et de façon inquiétante, des études menées par l’IRRI et l’IRD en 2023 ont montré que la BLB avait également été rapportée au Kenya. Qui plus est, les souches en présence sont génétiquement proches de celles du nord de la Tanzanie, ce qui suggère que la BLB a été introduite au Kenya à partir de Xoo provenant de Tanzanie. Si le mode de transmission de ces souches reste à élucider, ces données illustrent bien le problème de porosité des frontières entre pays avoisinants s’agissant des maladies des plantes en général et en particulier pour la bactériose vasculaire du riz.

Une situation similaire semble avoir lieu en Ouganda où des collectes réalisées en 2023 par le NACCRI et l’IRD ont également rapporté la présence de la BLB. L’analyse des échantillons en cours nous dira si un scénario identique à celui observé au Kenya se dessine. Il est à craindre que la situation soit semblable au Mozambique qui partage le nord de sa frontière avec la Tanzanie, une région qui de part et d’autre de cette frontière est largement dédiée à la riziculture.

De manière générale, nos données montrent que la production de riz dans l’Océan Indien est menacée par l’émergence de souches de Xoo originaires d’Asie particulièrement agressives

Le projet SABRE (Stocking the Attack of Bacterial blight Rice Epidemic in the Indian Ocean) vise à mettre en place un programme régional d’épidémio-surveillance de la BLB afin de prévenir l’expansion de ce fléau4 qui menace la durabilité de la riziculture dans l’océan indien, et par conséquent la sécurité alimentaire des pays concernés. Pour ce faire SABRE est structuré selon 7 actions :

- Action 1 : création d’un réseau d’épidémio-surveillance de la BLB dans l’Océan Indien

- Action 2 : formation des capacités au niveau régional

- Action 3: échantillonnage de la BLB dans les régions rizicoles des pays cibles

- Action 4 : amélioration du diagnostic de la BLB : développement, optimisation et validation de méthodes de détection moléculaire

- Action 5 : analyse de la diversité génétique des populations de Xoo et de leur adaptation

- Action 6 : rôle des semences dans la transmission de la BLB

- Action 7 : identification des variétés de riz locales les moins sensibles à la BLB

Que ce soit dans les pays où la BLB est déjà émergente (Madagascar, Tanzanie, et Kenya), ou ceux à priori encore exempts de sa présence (le Mozambique et l'île de la Réunion), notre ambition sera pour les premiers de permettre l’appui à un programme de recherche visant à réduire l’expansion des épidémies notamment via la sélection de variétés résistantes localement, et pour les seconds de prévenir l’introduction de Xoo via la mise en place d’un contrôle sanitaire optimisé des semences et la surveillance et éradication d’éventuels foyers d’infection.

« EN QUÊTE »

origine du projet : un désir partagé de rencontre entre la science et l'art

par Boris Szurek - microbiologiste, chercheur en biologie comportementale

Je suis biologiste de formation et directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement. Ma rencontre avec Laurent de Richemond remonte à près de 10 ans. C’était dans le cadre d’un atelier de théâtre qu’il animait au Théâtre de la Cité à Marseille, et si je n’avais pas eu le loisir de l’écouter présenter son projet, le texte le décrivant m’avait immédiatement conquis. Il s’agissait d’interroger notre rapport à l’autre à travers un spectacle intitulé « Curiosity » où les protagonistes, essentiellement nous-mêmes (moi-même Boris j’étais Boris sur le plateau), étaient amenés à faire « simplement preuve d’un peu de volonté pour partir à l’aventure, à la découverte de ce qu’on ne connait pas, afin d’aiguiser notre soif de connaissance, notre curiosité de tout, notre curiosité du monde, des choses, des autres, et de nous-mêmes… ». Il suffirait « d’activer en nous une curiosité sauvage pour accéder au monde, et y révéler tant de choses cachées… ».

Tout était dit.

C’est en me laissant emporter dans la tourmente de ce projet théâtral que je pris conscience de deux choses : 1) Laurent de Richemond était autant un chercheur que moi et nous parlions la même langue, et nous étions habités par la même folie et la même intranquillité propres à ceux et celles qui foulent des terres inconnues, et essayent de comprendre, et qui doutent, et qui recommencent, et qui échouent, et qui se relèvent encore et encore, et dont le visage s’illumine quand enfin, après une infinie quête et tant d’impossibles, scintille une once d’éclaircissement, quand on découvre une petite pièce de l’immense puzzle, un truc à mettre bout à bout avec d’autres minuscules lueurs et qui peut-être seront la clé de l’histoire. A telle enseigne que dans une autre de ses créations théâtrales intitulée « la secte » à laquelle j’ai également eu la chance de participer, retentissaient en écho les unanimes mots de Samuel Beckett piochés dans son oeuvre l’innommable « parlant toujours, cherchant toujours, en soi, hors de soi, ne cherchant plus, perdant la boule, maudissant Dieu, ne le maudissant plus, n'en pouvant plus, pouvant toujours, cherchant toujours, dans la nature, dans l'entendement, sans savoir quoi, sans savoir où, où est la nature, où est l'entendement, qu'est-ce qu'on cherche, qui est-ce qui cherche, cherchant qui on est, où on est, ce qu'on fait, ce qu'on leur a fait, ce qu'ils vous ont fait.. ». 2) Laurent de Richemond est autant que moi fasciné par les mystères du vivant et il y puise autant de sources d’inspiration pour créer. Lui pour créer et raconter, moi pour comprendre.

Lui et moi étions faits pour nous entendre.

La recherche scientifique c’est 10% de bonheur absolu pour 90% d’échecs et de frustration, disait ma directrice de thèse. Je ne dirai pas que la façon qu’a Laurent de diriger ses acteurs devrait se résumer ainsi mais j’ai été fort marqué par le parallèle entre nos deux mondes, celui de la quête scientifique et celui de la création théâtrale, quant à l’épreuve de la méthode, voir du protocole, le fait que l’issue réside souvent dans l’exercice de de reprendre, de recommencer, de tâtonner, mais aussi de suivre son intuition pour au final arriver à quelque chose et aboutir in fine à ce que d’aucun considère comme l’essence même de la vie et d’autres un non-sens, une perte de temps. Car à quoi bon comprendre l’art de la communication chez les oiseaux ? Pourquoi passer une vie à étudier le déplacement de communautés de poissons ? A savoir si les bactéries sont aptes au sexe ? L’artiste et le scientifique tiennent un rôle un peu à part dans nos sociétés.

Nos démarches raisonnent et nos centres d’intérêt se rencontrent, nous sommes comme des négatifs l’un de l’autre et s’est vite imposée comme une nécessité celle de travailler ensemble pour que l’artiste qui vibre en moi et le scientifique qui tonne en lui puissent s’exprimer et révéler la beauté et force poétique de nos expériences. Et les partager.

Mon désir de travailler avec Laurent de Richemond vient donc du fait que le scientifique que je suis trouve en l’homme de théâtre qu’il est un formidable alter ego. Je suis extrêmement désireux et curieux du regard qu’il portera sur mon monde et des questions qu’il formulera sur mes recherches, sur leur sens, sur mes choix de chercheur, mais aussi sur ceux faits par l’homme qui se dessine derrière le chercheur. Je m’attends à ce que de cet exercice résulte un potentiel de remise en question et une nouvelle énergie créatrice. Je suis autant curieux sinon plus de cette épreuve promise d’une forme de mise à nu théâtrale, de cette « monstration »…

Boris Szurek

…trouvant pourquoi, ne trouvant plus, retrouvant, ne retrouvant plus, ne cherchant plus, cherchant encore, ne trouvant rien, trouvant enfin, ne trouvant plus, parlant toujours, assoiffé toujours, cherchant toujours, ne cherchant plus, parlant toujours, cherchant encore, se demandant quoi, de quoi il s’agit, cherchant ce qu’on cherche, cherchons quoi, c’est vrai, essayons de savoir, avant de chercher, ce qu’on cherche…

Samuel Beckett - « L’innommable » (extrait)

« EN QUÊTE »

présentation du projet par Laurent de Richemond - metteur en scène, directeur artistique de la Compagnie Soleil Vert

« En Quête » est un projet qui prendra comme sujet d’étude la personne et le travail du Dr Boris Szurek, et qui posera à travers lui la question du portrait au théâtre : Comment dessiner, raconter, donner à voir, à comprendre, et à entendre la singularité d’un chercheur, d’un scientifique, d’une personnalité singulière ? Boris Szurek sera l’objet de notre curiosité et de nos interrogations. Comment parler de son travail, nous faire comprendre la réalité de ses recherches, peut-il nous donner le goût de la science ou susciter des vocations ? Comment révéler théâtralement la vie d’un chercheur (mais aussi celle d’un simple être humain) ? Comment en faire théâtralement la « monstration » ?

Nous ferons certains choix esthétiques dans ce projet, et si ce spectacle était de la peinture les choses se révèleront sans doute sous plusieurs angles, par petites touches, dans une sorte de tableau Cubiste…

Ce projet se construira et s’écrira d’abord en amont des répétitions dans un travail d’enquête, d’investigations, de recherches et d’interrogations. Nous irons sur place suivre la réalité du travail de Boris Szurek, nous l’interrogerons, nous l’enregistrerons, nous nous imprègnerons de son environnement… Toute cette matière récoltée nous mènera à l’élaboration d’une écriture théâtrale, sensible et textuelle.

Au début de notre enquête nous lui poseront des questions relativement simples en apparence :

Parles-nous de ce que tu fais ? C’est quoi exactement ton travail ? Ça se passe comment concrètement pour toi ? C’est quoi ta vie dans un laboratoire ? C’est quoi ta vie sur le terrain ? C’est quoi ton histoire personnelle ? C’est quoi tes désirs, tes difficultés, tes rêves et tes obstacles ? Parles-nous de toi, de tes recherches, de ta vie…

Les réponses à ces questions nous mèneront certainement à d’autres questions, d’autres tentatives de réponses, et surtout à l’émergence d’une parole singulière… Il s’agira surtout pour nous de venir faire « l’expérience d’un autre ». Et ici, cet « autre », c’est Boris Szurek. Ce sera lui le « sujet-objet » qui sera au centre de ce spectacle. C’est lui que l’on va suivre, c’est son portrait qui va se dessiner sous nos yeux.

Depuis 10 ans, Boris Szurek participe en tant qu’acteur amateur aux créations de la Compagnie Soleil Vert. Les derniers spectacles que nous avons créé ensemble s’inscrivent dans une démarche artistique autour des « écritures du réel ».

C’est très enthousiasmant de pouvoir inviter un scientifique, un chercheur, à venir dérouler le fil de sa pensée, afin de questionner le mouvement à l’œuvre, et la société dans laquelle il s'inscrit, de jeter des passerelles, de construire du lien entre le monde des arts, de la recherche et de la science. Et c’est aussi pour lui très excitant de pouvoir franchir une frontière en mettant son travail, sa pensée, ses recherches en dialogue avec une expérience artistique et sensible, en mettant ainsi son réel en jeu, dans le croisement des arts, des sciences, et des savoirs (savants et non savants).

Ce spectacle cherchera à créer les conditions de cet espace de recherche et de frottement.

La création artistique que nous proposons ici se fabriquera dans l’incertain de ces relations tissées, au grès de situations qui s’inventent. Une écriture du réel qui puise à la source de ces interactions humaines et qui témoigne d’une volonté, non pas de saisir l’autre en le figeant dans une interprétation, mais de se risquer réellement à sa rencontre. Qu’elle naisse d’expériences vécues, d’enquêtes de terrain, de recherches autobiographiques, de vagabondages, cette création aura pour ambition d’élargir nos perceptions et d’enrichir nos manières de sentir, de penser, d’agir, et d’être ensemble.

Mettre en présence des mondes qui ne se connaissent pas ou si peu, et chercher ensemble ce qui peut naitre de ces rencontres. Avec ce projet, nous voulons échapper au simple témoignage ou à la conférence, pour mettre en jeu le processus de recherche et d’enquête en lui-même. Nous voulons expérimenter une articulation entre recherche artistique et scientifique, et créer une forme théâtrale qui puisse en rendre compte. C’est dans ce cadre que le terme d’écriture du réel nous paraît plus ouvert à ce qui se joue que celui de théâtre documentaire.

Pour l’artiste comme pour le scientifique, il est important d’éprouver ce besoin de construire une autre relation au monde et aux autres, de déplacer les rapports de maîtrise qui les lient habituellement à leurs sujets et à leurs publics. L’artiste et le scientifique essaieront dans cette aventure singulière de faire naître avec l'autre, face à l'autre, un espace de récits communs.

Les domaines de recherches de Boris Szurek sont la biologie comportementale, le mimétisme dans l’organisation d’une collectivité de bactéries parasites, les interactions des plantes avec leur pathogènes…

Toutes ces recherches tournent finalement autour de la question des communautés organiques et des associations du vivant. Et ces questions sont éminemment théâtrales et profondément artistiques.

Il y a aussi une question mystérieuse qui nous intrigue particulièrement dans les travaux de Boris Szurek : c’est ce concept étrange de « résistance par perte de sensibilité ».

Boris Szurek est conscient de la nécessité d’ouvrir le monde de la recherche au plus grand nombre, et il a le désir de s’impliquer pleinement dans la construction d’une oeuvre de vulgarisation scientifique qui s’inscrit dans une démarche artistique singulière, pour réfléchir ensemble et éclairer autrement la question du vivre-ensemble. Alors en plus de ce travail de collaborateur scientifique dans ce projet, Boris Szurek aura à cœur de réaliser un travail d’écriture personnelle tout au long de sa participation à ce travail.

Avec Boris, nous avons ensemble le désir de métaphoriser la « vulgarisation scientifique » en cherchant à en dégager les formes poétiques, mais aussi des questionnements philosophiques et sociétaux…

Nous nous mettrons à l’affut de tout ce qui peut faire résonner la recherche scientifique avec une démarche artistique

J’ai proposé à Boris d’être lui-même et de se placer au centre de ce travail. D’être le scientifique qu’il est, mais aussi la personne qu’il est. D’accepter d’être le sujet/objet de ce projet, de notre étude, de notre enquête… C’est une forme de mise à nu, une manière de se livrer généreuse et courageuse qui sera mise en oeuvre pour lui dans cette peinture théâtralisée qui sera faite de son portrait.

Nous chercherons à créer un forme théâtrale qui nous fait tout à la fois la démonstration, la décortication, et la monstration de Boris Szurek (en tant qu’homme, individu, acteur, scientifique, chercheur…) : Donner à voir la réalité de sa vie, de son travail, de ses recherches, de ce qu’il est tout simplement… sa parole, ses pensées, sa personnalité, son histoire, ses mystères, ses blessures, ses défenses, ses résistances, ses luttes, bref son état d’être au monde dans sa solidité comme dans sa fragilité…

Nous entrerons alors avec Boris dans un temps hors du temps, et il ne sera pas seul parce que durant toute cette traversée, il sera suivi au plus près de lui-même par d'autres personnes qui l’accompagneront, chacun enquêteurs et en quête, dérivant avec lui sur ce même radeau où chacun est le suiveur de l’autre, où chacun est en quête de l'autre, où tout le monde s’intéresse à tout le monde,

Dans ce travail, tout le monde est étranger à tout le monde, et pourtant un territoire d’aventure artistique et scientifique va devoir se vivre en commun…

Laurent de Richemond et Stéphanie Louit accompagneront théâtralement Boris Szurek et participeront à la révélation de cette figure singulière qui se dessinera pour le public à travers des articulations, des accumulations et au final dans un agglomérat de fragments.

Boris Szurek ne sera pas seul, parce qu’on a besoin des autres pour se révéler au monde. Il ne suffit pas d’exister, on doit aussi montrer qu’on existe… Cette création sera au bord de tout (au bord du théâtre, de la performance, de la danse). C'est une aventure, une dérive, un déplacement, une expérience, une traversée… Un sacré moment de monstration promet d'avoir lieu…

Laurent de Richemond

une « écriture du réel » : vers un théâtre de l’expérience de l’autre

Dans mon travail, j’ai toujours cherché à fabriquer des spectacles qui puissent être perçus comme des « objets théâtraux non identifiés » afin que l’objet artistique ainsi créé ne puisse jamais perde sa fonction d’expérience. J’aime partir à la recherche d’une écriture théâtrale qui puisse proposer à l’acteur et au spectateur une expérience réelle, une écriture qui excite et dérange un peu le concept tranquille de la « représentation » afin que les gens n’aillent pas au théâtre seulement pour consommer un objet culturel, mais qu’ils y aillent pour vivre en commun une expérience artistique de sens et d’émotion. Reste alors à savoir le regard que l’on convoque, et l’expérience que l’on propose…

Je place mon travail profondément sur le terrain de l’intériorité, ou du moins je tente de mettre en forme cette intériorité, même si cette forme ainsi constituée peut parfois rester inachevée… Au théâtre, les évènements n’ont pas besoin d’être systématiquement incarnés par des personnages de fiction pour pouvoir exister, alors je propose aux acteurs de construire leur présence sur scène en partant d’eux-mêmes, en écrivant au présent une « écriture du réel » vécue, jouée, risquée devant un public, à la face du monde. Nous fabriquons du théâtre avec des matériaux à priori non théâtraux afin de faire émerger une parole qui ne soit pas littéraire et qui ne repose sur aucune écriture fictionnelle préexistante.

Cette question d’une « écriture du réel » ne doit pas se poser en terme d’opposition entre fiction et réalité, car le théâtre s’inscrit dans le réel dès lors qu’on accepte le fait que les histoires n’ont pas besoin de personnages pour être incarnés sur la scène. Une vie, pour être substantielle, a néanmoins besoin d’avoir une histoire à raconter. La fiction fait bien partie de la réalité car le réel est constitué par la matière même de nos fictions, de nos histoires, de nos expériences de vie. Ces témoignages de réalité sont bien les preuves que le réel existe et qu’il est partageable. Le terme d’écriture du réel est alors une bonne définition de ce théâtre de l’expérience que je propose.

Alors qu’est-ce que c’est exactement une « écriture du réel » au théâtre ?

C’est d’abord un territoire poétique, une écriture qui s’invente dans la relation, de personne à personne, en se frottant à l’expérience du réel, en fouillant ces zones de mystères et d’invisibles qui se cachent en chacun de nous. C’est aussi explorer l’infini d’une personne plutôt que la fixité d’un personnage. C’est sortir du témoignage pour aller vers la création d’un langage poétique et complexe, vers une fiction qui se déplie de l’intérieur. C’est tenter de faire vaciller, de questionner notre rapport au monde en inventant une écriture en allers-retours entre la scène et le terrain. C’est apprendre à écouter, à résister à l’identification trop facile, à cultiver notre curiosité… C’est accepter de se perdre un peu, de se retrouver face au réel comme face à un abîme. C’est s’affronter à l’invisible, au tâtonnement, à la difficulté du comment dire… Bref, c’est faire « L’expérience de l’autre »

Une écriture du réel ne nie pas du tout l’imaginaire qu’elle porte en elle. Nous travaillons sur une zone frontière entre fiction et non fiction, et cela repose avant tout sur une écriture de la relation, sur la rencontre entre différentes subjectivités et sensibilités. L’artiste n’est plus seul face à son sujet, mais invite à chercher avec lui l’endroit d’une possible coopération. Il faut alors soulever et poser toutes les questions avec le regard des idiots, sans trop savoir ce qu'on cherche, sans but, lire, interroger, aller sur place, visiter, se renseigner, se documenter. Et puis rencontrer les gens, parce qu'ici c'est du théâtre qui s'écrit et nous avons besoin de savoir comment les mots de l'autre traversent le réel, en rendent compte, tenter de saisir le regard de cet autre sur ce réel, son vécu.

Dans ce monde où tout va si vite, nous aspirons à de nouvelles conversations, à des rencontres inédites qui débordent des cadres, des étiquettes, des assignations à résidence et aux territoires réservés. Ces récits engagent à construire du commun, à nous relier au monde. Nos langages s'entendent, non plus comme un écho lointain, mais dans le présent des frictions entre les dires. S'inventent alors d'autres jeux, avec d'autres joueurs et des règles nouvelles à imaginer. Écrire le réel comme une expérience sensible du côtoiement de l'autre, celui qui nous est étranger. Non pas un simple miroir, mais le lieu où ce qui est vécu, s'exprime et se pense dans cette relation. C'est dans cette tension que s'invente une écriture des passages, des épreuves, du présent en éveil. Il s’agit de figures qui s’écrivent. Il s’agit d’un mouvement.

Il nous suffit simplement d’un peu de volonté pour partir à l’aventure, à la découverte de ce qu’on ne connait pas, afin d’aiguiser notre soif de connaissance, notre curiosité de tout, notre curiosité du monde, des choses, des autres, et de nous-mêmes… Il nous suffit d’activer en nous une curiosité sauvage pour accéder au monde, et y révéler tant de choses cachées… Il nous suffit de mettre en jeu notre savoir, nos connaissances, nos passions, nos doutes, nos certitudes, nos préjugés, notre ignorance… Il nous suffit d’accepter de défendre nos convictions, et d’accepter aussi de se laisser convaincre. Il nous suffit de travailler notre curiosité, et de vouloir la faire grandir. Il nous suffit d’affirmer notre besoin de comprendre et de vouloir être compris. Il nous suffit d’être un peu exigeant avec nous-même, de nous auto-discipliner, de nous lancer des défis personnels, de ne pas se réfugier dans la facilité, mais ne pas non plus se dissoudre et se perdre dans la complexité. Il nous suffit de placer la barre en hauteur, tout en mesurant et visant un objectif atteignable. Il nous suffit de faire confiance aux autres sans s’en remettre entièrement à eux. Il nous suffit de prendre nos responsabilités, d’affirmer notre souveraineté, de ne pas se cacher derrière une fausse modestie.

Alors qu’est-ce que je peux apprendre aux autres ? Qu’est-ce que je voudrais qu’ils sachent et qu’ils comprennent enfin ? Qu’est-ce que j’ignore que je voudrais connaître ? Suis-je capable de transmettre quelque chose de ma vie ? Qu’est-ce que je possède que je voudrais donner ? Comment vivre ensemble avec tout ce qui nous sépare ?

Tout commence à partir de maintenant !! Nous partons explorer un territoire inconnu. Nous partons faire l’expérience de l’autre.

Faire théâtre par le portrait d’un sujet pleinement vivant et exposé sur la scène est déjà en soi un enjeu pertinent.

Les paroles, directes et frontales se confrontent aux bribes d’entretiens enregistrés opérant ainsi une dissection des éléments d’une vie, de son travail, et de sa construction psychique mais aussi physique. Une insolite ouverture à l’autre mais aussi de l’autre, se pratique devant le public en toute simplicité.

Ce récit, cette auto-analyse en direct se conjuguera par les présences qui l’accompagneront, dans une sorte de dialectique en acte de l’anonymat et de la singularité. La façon dont on agit sur les gens qui nous entourent, la façon dont les êtres environnant nous hantent et nous habitent, tous ces mécanismes si latents et invisibles prendront ici forme et figure dans un mystérieux ballet.

De fait, le langage scénique empruntera tout autant au théâtre, à la danse qu’à la performance.

Au sein de cette dramaturgie, on cherchera à étudier le façonnement d’une personnalité et de son interaction avec les autres, on cherchera à comprendre comment une communauté se constitue, et on cherchera à cerner en quoi les acteurs sont-ils aussi passionnants à observer.

Ce travail s’inscrira donc dans des interrogations bien vivaces.

« le mimétisme » et « les communautés organiques »

par Boris Szurek - microbiologiste, chercheur en biologie comportementale

Dans mon travail de chercheur à l’IRD, je dirige une équipe de chercheurs étudiant les mécanismes moléculaires, génétiques et évolutifs qui sous-tendent l’adaptation de microorganismes phytopathogènes (comme les bactéries) à leur environnement, c’est à dire les plantes dont elles dépendent pour croitre et se multiplier. Au cours de mes recherches, je me suis notamment intéressé au phénomène du mimétisme, c’est à dire la pratique qui pousse un être vivant quel qu’il soit, animal, plante ou bactérie, à reproduire les actions de ses semblables, voir même d’autres espèces.

Le comportement mimétique est reconnu chez l’humain ou certaines espèces d’animaux comme un moyen pour un individu de s’accaparer une pratique, et donc in fine de s’intégrer dans un groupe. La biologie comportementale qui vise à étudier l’individu dans sa communauté, a montré le rôle primordial que joue le mimétisme dans l’organisation d’une collectivité.

Une autre fonction bien connue du mimétisme provient de l’étude du comportement de populations d’animaux en déplacement tels certains bancs de poissons, troupeaux de moutons ou les vols d’étourneaux où l’on observe une impressionnante synchronisation des mouvements entre individus situés à proximité : le comportement du voisin détermine le sien par une sorte de mimétisme social. Cette capacité des individus à communiquer entre eux en font une sorte de super-individu ou super-organisme dont la raison d’être est un avantage sélectif pour pouvoir survivre.

On observe aussi un tel phénomène de synchronisation chez les bactéries à travers le phénomène du quorum sensing qui permet à différentes bactéries cohabitant au sein d’une même colonie de coordonner ses actions. Si la taille de la population devient trop importante, chaque cellule bactérienne reçoit un signal lui donnant l’ordre de cesser de se reproduire, ce qui permet à la population de se réguler. Il y va donc de la survie de l’espèce, de l’individu, et cette survie de l’individu est assujettie à celle du groupe. Autrement dit, on ne serait pas un si l’on n’était pas plusieurs.

Chez de nombreuses espèces d’insectes ou d’animaux mais aussi de plantes, le mimétisme est un moyen de se protéger de certains prédateurs. Le mimétisme permet de se faire passer pour un autre, et donc de se cacher pour éloigner le danger. Certaines plantes pratiquent aussi le mimétisme pour se reproduire…

De manière fascinante, ce qui s’observe à l’échelle des individus et des communautés, se décline également au niveau des molécules qui composent les cellules des organismes vivants, on parle alors de mimétisme moléculaire.

Puis-je être si je suis seul ? La question est passionnante !

Que ce soit à l’échelle de la molécule qui tend constamment à évoluer pour se distinguer de ses semblables et acquérir de nouvelles fonctions ou à l’inverse mimer les formes d’autres molécules et se faire passer pour une autre, ou à l’échelle de la cellule qui est en permanence dans un jeu de balancement entre se reproduire à l’identique et se différencier, ou encore à l’échelle de l’organisme qui par le truchement du mimétisme grandit, se protège ou survit.

On comprend alors que ce qui fait communauté a une dimension éminemment organique : comment le groupe existe grâce à la singularité de chacun des individus qui le constitue, comment l’identité de chacun ne peut prendre forme que parce que le groupe offre un cadre pour y donner sa place. En nous interrogeant sur la nature des « Associations du Vivant », nous cherchons les fondements de ce qui peut faire société au sens le plus large du terme.

C’est je crois précisément ce qui anime Laurent de Richemond dans sa quête artistique.

Boris Szurek

production : Compagnie Soleil Vert / coproduction : IRD Montpellier - Projet SABRE

partenaires de production et de diffusion en cours pour la création du spectacle en 2026-2027