LA SECTE

une performance de Laurent de Richemond

Tout Doit Disparaître # 4

avec

Virgile Abela, Antoine Aresu, Olive Bernard, Sébastien Bruyère, Mounira Chared, Christophe Chave, Jade Dapoigny, Yves Fravega, Élisa Gérard, Pascal Gobin, Julien Gourdin, Morgan Gray, Marianne Heinrich, Laetitia Langlet, Stéphanie Louit, Thomas Moch, Marilyn Montalbano, Nolwenn Moreau, Peggy Péneau, Zeynep Perinçek, Anika Pichon, Olivier Puech, Laurent de Richemond, Camille Radix, Nicolas Rochette, Barbara Sarreau, Defne Signoret, Boris Szurek.

avec aussi pour les étapes précédentes :

Christiane Fadat, Michel Fadat, Chou Yung Shih, Mariusz Grygielewicz, Isabelle Gros, Pascale Karamazov, Jocelyne Monier, Sandrine Rommel, Magali du Sartel, Julie Surugue.

conception, mise en scène, dramaturgie, création sonore : Laurent de Richemond

La Secte est une performance qui se place dans la continuité des autres performances composant le projet Tout Doit Disparaître :

  • Initié en 2004 avec La Vitrine - 3 Jours et 3 Nuits,

  • Poursuivi en 2005 avec Les Iguanes Millénaires,

  • Et en 2006 avec Paroles d’Insectes

Toutes ces performances se placent à la croisée des chemins du théâtre, de la danse, et de l’art contemporain.

création 2019

Performance / Exposition Humaine / Expérience Artistique / Théâtre

Tout public

durée : 7 heures (en continu)

entrées et sorties libres

La Secte #1 : dimanche 2 décembre 2018 au Théâtre Strapontin (Marseille)

La Secte #2 : dimanche 24 février 2019 au Théâtre Strapontin (Marseille)

La Secte #3 : dimanche 26 mai 2019 à La Distillerie (Aubagne)

La Secte #4 : dimanche 22 décembre 2019 à La Distillerie (Aubagne)

« Un jour, la vie deviendra un dépôt de la mort. L’homme élira un lieu retiré et plaisant, rassemblera autour de lui les personnes qu’il aime le plus, et se perpétuera au sein d’un paradis intime.

Cette éternité à répétition peut paraître atroce à un spectateur ; elle est satisfaisante pour les individus qui y sont soumis. Libérés, ils vivent toujours comme si c’était pour la première fois, sans souvenirs des fois antérieures. »

Adolfo Bioy Casares - « L’invention de Morel »

Le mot « secte » désigne : la voie dans laquelle on s’engage (du latin sequi : « suivre »)

mais aussi, un groupe qui se retranche d’un ensemble (de secare : « couper »)

Alors « La Secte », qu’est-ce que c’est ?

La Secte est un objet artistique hybride, difficile à étiqueter, et qui se cherche encore… On pourrait dire que c’est une œuvre mutante car sa forme et son contenu sont en perpétuelle mutation… Le mot le plus proche pour désigner ce travail serait celui de performance... Même si le mot performance ne me convient pas tout à fait car il implique l’idée de gagner, alors que dans ce que nous cherchons à faire-là, il s’agit surtout de venir perdre et de se perdre… Et puis le mot performance, aujourd’hui, ça peut vraiment dire tout et n’importe quoi… Alors je serais tenté de dire qu’il s’agit d’une exposition, une exposition humaine de gens qui ont accepté d’être les objets de notre regard. Mais il s’agit aussi de questionner le Théâtre, car même si La Secte n’est pas un spectacle, c’est quand même un objet théâtral, un objet non identifié certes, mais un objet théâtral quand-même… Par facilité nous nommerons donc La Secte comme étant une performance…

Le mouvement général de cette performance est construit comme une cérémonie qui se replie perpétuellement sur elle même… Une cérémonie composée d’un cycle d’environ 2h qui se répète en boucle au fil de la performance (3 cycles pour une durée totale de 7 heures). Cette temporalité étirée ne semble avoir ni début ni fin

La Secte ne s’ouvre au public que le dimanche… Le public est libre de venir, de sortir, de revenir, de se promener, de visiter, de tourner autour de l’objet présenté… (les gens viennent quand ils le veulent et restent le temps qu’ils souhaitent)

La Secte, s’inscrit dans un cadre fictif d’abandon suscitant en nous la curiosité que l’on peut prendre à visiter des ruines, des vieux greniers ou des vieux appartements saturés d’émanations d’existences, d’atmosphères usées et enrichies par les ingrédients spécifiques des rêves humains, ces décombres où abonde l’humus du souvenir, du regret, de l’ennui stérile…

La Secte est une proposition dans laquelle la communication n’est pas la clé de voute de la relation. Le public vient voir la performance ne sachant pas vraiment de quoi il s’agit et à quoi il va être confronté, il n’a pas de repères, il ne sait pas comment ça va se passer, comment ça fonctionne, et donc forcément il se retrouve en face de quelque chose qui lui pose des questions et qui l’intrigue… Nous cherchons à ce que le regard des gens soit sollicité comme s’ils se retrouvaient d’un coup face à un OVNI qui débarquerait sur terre… Comme un objet dont les codes, les lois et notre rapport à lui n’irait pas de soi, devrait s’inventer au présent de notre relation, à l’instant même de notre perception…

Ce projet ne nécessite la présence d'aucun médiateur culturel !

La Secte prend tout son sens dans la manière dont sont convoqués les gens qui composent par leur présence et leur engagement la chair de toute cette performance.

Au grès des rencontres, j’ai réuni des gens venant de multiples horizons pour faire l’expérience collective (et néanmoins très solitaire) d’un déplacement des modes conventionnels de représentation en acceptant de venir perdre la maîtrise du temps, d’accepter de ne jouer pour personne, de vivre sans volonté de produire, en s’inscrivant plutôt comme objets que comme sujets. (même si la place d’objet, n’est finalement qu’une mise à l’épreuve de la résistance du sujet…)

C’est la question de « l’Être Acteur » comme objet principal de notre regard, qui est placé au cœur de ce travail. La liste des adeptes de cette Secte ne sera jamais fermée ni complètement définitive... Avec ce travail je voudrais aller au delà de la notion d’acteurs amateurs et professionnels en donnant une place à tout le monde. Car en dehors d’un noyau dur de 6 acteurs, les gens qui composent La Secte sont pour la plupart des gens qui ont assisté une première fois à la performance et qui ont manifesté leur désir de rejoindre l’aventure. Alors tout est possible pour faire parti de La Secte, il suffit de manifester clairement son désir et d’accepter les règles ! Ça peut être des participations à l’issue d’un atelier, ça peut-être des rencontres furtives, des retrouvailles avec des anciens collègues de scène, des gens parrainés par des anciens adeptes…

La Secte ce n’est bien sûr pas une vraie secte (qui demanderait un engagement à vie) mais quand-même il faut jouer le jeu dans cette histoire car c’est une proposition sérieuse qui n’est ni ironique ni parodique. Le mot Secte est un mot qui résonne à nos oreilles de manière plutôt péjorative… Mais c’est aussi un mot qui fait écho à un désir secret pour beaucoup de gens, alors je propose qu’on fasse l’effort d’entendre ce mot autrement… J’assume le côté provocateur du titre mais il faut prendre le mot « Secte » au premier degrés de son étymologie qui est double et qui veut dire à la fois couper et suivre. Le désir secret de la secte, c’est celui du retranchement… C’est cette part de nous-même qui a un jour rêvée de tout quitter pour partir vivre ailleurs, hors du monde hors du temps…

Mais ici il ne s’agit pas d’une séparation pour quitter le monde, mais pour se montrer à lui !

La Secte c’est aussi accepter de suivre les autres, ne plus être responsable, se laisser guider, se laisser porter par le mouvement… Oublier son bon-vouloir personnel, oublier le temps qui passe, le monde extérieur, et s’abandonner à vivre ce moment d’éternité partagée…

Cette communauté occasionnelle est une communauté de solitudes. Dans La Secte, nous sommes tous seul ensemble…

Laurent de Richemond - 25 avril 2019

« Il a existé dans l'histoire du monde deux arts (la peinture, la sculpture) qui ont tenté de synthétiser l'expérience humaine au moyen de représentations figées ; de mouvements arrêtés. Ils se sont développés pendant plusieurs millénaires; ils ont eu la possibilité de produire des oeuvres achevées dans le sens de leur ambition la plus secrète : arrêter le temps.

Pris dans son ensemble, le monde fonctionne dans un silence terrible ; il exprime son essence par la forme et le mouvement. Notre esprit cherche sa voie dans le monde - d'où cette sensation quasi hypnotique qui nous envahit devant une forme fixe engendrée par un mouvement perpétuel, telles les ondulations stationnaires à la surface d'une mare.

Nous devenons pure perception ; le monde apparaît dans son immanence. Nous sommes très heureux, d'un bonheur bizarre. »

Michel Houellebecq - Le Regard Perdu (éloge du cinéma muet)

Oui, pour ma part j'ai été très heureux de participer à créer cette communauté hypnotique et radicale, de sentir le regard intrigué et bienveillant des spectateurs. Le poste de gardien alternatif, dedans dehors, à l'accueil et au plateau, je l'ai perçu et agi dans une logique de protection et de servitude à la cause de ce laboratoire du temps, de la parole retenue qui parfois s'épanche et des corps qui ne mentent pas. Il y avaient eux, les passants, les spectateurs et nous les membres, la famille dans une évidence, un dialogue muet mais perceptible. Je répond présent pour la suite !

Olivier Puech - avril 2019

Une parenthèse de temps qui offre à observer la vie, notre vie qui se tricote, minutieusement, lentement, inlassablement, en un seul et même geste, en un seul et même rouge qui circule, qui palpite sous nos yeux. Un mouvement, névralgique - parfois une transe - qui se propage de corps en corps. Des corps qui se frôlent, s’attachent, s’agrippant pour mieux s’éloigner, se retrouvent, s’entrelacent tels les mailles d’un seul et même tissage, tels les atomes d’une même molécule, les molécules d’une même cellule, les cellules d’un même Etre, central, inexorablement seul, lui aussi. Une même voix, qui coule de bouche en bouche, en une prière, un cri. Les mêmes questions. Le silence. Et puis au loin, les bruits du Monde qui continue lui aussi sa révolution. Une alchimie entre organique et spirituel, un moment de regard sur un soi profond, comme si, lors d’un court instant, un retour In Utero était possible.

Marilyn Montalbano - avril 2019

J’ai demandé à Laurent si je pouvais rejoindre « La Secte » sans rien savoir de ce qui allait se passer exactement pour moi… parce que justement je ne savais pas, je ne savais pas ce qui allait se passer, c’est pour cette raison que je voulais être dans cette aventure, Alors je suis devenue une « Gardienne »… j’ai fait du tricot, oui j’ai tricoté un ouvrage que d’autres avant moi avait débuté, un ouvrage de laine rouge, j’ai exactement fait du tricot, j’ai profondément plongé dans l’action de faire du tricot, j’ai vécu chaque mailles et chaque gestes de ce tricot, c’était fondamental et je suis devenue immense par cette action, je le sentais, je le savais, j’étais immense, mystérieuse, et éternelle et immuable comme une de ces statues de l’île de Pâques… J’étais une « Gardienne », et j’ai veillé sur les autres, en communion avec eux, sans savoir pourquoi je veillais ou surveillais, et ce n’était pas important pour moi de le savoir… Ce qui était important et vital c’était d’être complètement là, avec ces autres qui eux aussi, je le voyais, étaient là, totalement là, dans ce présent qui était là sans fin. Assise sur ma chaise, j’ai parfois aperçu au loin sur des chaises vides des morts que j’ai connu vivants… Et j’étais là aussi pour ces morts… J’ai aussi parlé à des gens qui s’approchaient de moi, je leur ai dit des mots qu’ils n’entendaient pas mais qui étaient des mots qui se vivaient en moi pour moi-même et pour les autres… Je me suis levée et j’ai marché en étant envahi par des sons et de la musique qui semblaient sortir de moi. L’autre monde, celui d’hier et de demain n’existait pas n’avait jamais existé, Son nom même n’avait jamais existait. j’ai accepté de venir m’allonger à tes pieds comme si j’acceptais de venir mourir pour renaître à nouveau, et revivre de nouveau pour mourir encore. Et revivre éternellement avec cette musique qui sort de moi, comme si tout à jamais devait se répéter et que tout ce qui se joue là était ma seule destinée… Une destinée solitaire, mais partageable… Dans la secte j’ai cru être une église vivante, un être sacré et pourtant insignifiant, éternel et mortel tout à la fois sans passé, sans futur, juste là, avec d’autres juste là. Exactement là.

Pascale Karamazov - juin 2019

La secte, j'en suis une adepte sans savoir ce que c'est exactement. C'est un objet immense qui va bien au-delà de moi, mais c'est aussi un endroit intime qui n'appartient qu'à moi. Parfois ça me rappelle la cour de récréation, quand on était petit et qu'on s'ouvrait les mentons sur les marches trop hautes, on inventait des règles de jeu, des nouvelles à chaque fois, on les suivait à fond, mais vraiment à fond, on y allait corps et âmes et on se sentait vivant sans faire l'effort de l'être : la secte, ça rend vivant, plus que vivant, c'est comme l'inverse des zombis. C'est l'impression, peut être un peu mièvre, de faire partie d'un grand tout qui suit sa propre logique et qui avance en rond ; ce qui d'ailleurs ne mène qu'au point de départ, toujours au même point de départ mais toujours plus fatigué, et sans jamais avoir finalement reproduit quoique ce soit. La secte ce n'est pas une boucle qui se répète, c'est une boucle qui se réinvente au présent et où la question de sa place est toujours remise en jeu. Et ce jeu là m’apparaît finalement bien plus tangible que la vie réelle.

Stéphanie Louit - juin 2019

Moi, dans la secte, je suis nettoyeuse. J’arrive avec mon seau et ma serpillère quand tout le monde est allongé au sol aux pieds de Laurent. Je viens au devant de la scène, je remplis mon seau avec l’eau bouillante de la cocotte, que je verse lentement. Je repose la cocotte et je commence à nettoyer le sol, avec cette eau fumante, en évitant soigneusement les corps, et en faisant des 8, en un geste lent et continu, inlassablement répété. Dans la secte, je suis aussi une chasseuse, une chasseuse d’images. Je me trouve dans une grande boîte en carton, isolée de tous. Avec mon appareil photo autour du cou, je rentre dans la boîte en poussant les deux portes battantes qui se trouvent à l’arrière. Une fois à l’intérieur - il y fait très chaud - je me déplace en tenant les poignées intérieures pour faire glisser la boîte, qui a des roulettes, en regardant par la fenêtre carrée qui se trouve à l’avant. Je me rapproche des gens, suffisamment pour pouvoir faire ma mise au point au travers de la fenêtre. Clic, je prends une photo et puis je recule jusqu’au garage, lentement, pour ranger la boîte. Et ainsi de suite, tout au long d’une boucle… Ensuite, en fin de boucle, je rejoins les autres et je trépigne avec eux sur la musique finale. Le trépignement commence dans les pieds, puis remonte progressivement vers les genoux puis dans les hanches sans que le haut du corps ne bouge jamais. Et puis, tout en trépignant, je recule comme les autres vers le fond pour disparaître dans les coulisses dans la continuité d’une ligne droite…

Marilyn Montalbano - juin 2019

teaser de la performance (9') - réalisé par Olivier Puech

La Distillerie (Mai 2019)

photos : Marilyn Montalbano

production : Compagnie Soleil Vert / Aides à la production : La Distillerie - Place aux Compagnies / Théâtre Strapontin / L’Art de Vivre - Comptoir de la Victorine