FERME TA GUEULE

une création universitaire de Laurent de Richemond

avec les étudiants en art du spectacle de l'université Aix-Marseille

du 22 au 26 Avril 2025

Théâtre Antoine Vitez (Aix-en-Provence)

création 2025

Théâtre

la parole comme un principe de vie

« Logorrhée » - Logos (parole) - Rheî (couler) : Flux, écoulement de parole. Diarrhée, incontinence verbale. Trouble du langage caractérisé par un besoin irrésistible et morbide de parler. Ce flux de paroles peut parfois être dû à l'emprise de l’alcool ou à la consommation de certains psychotropes…

On m’a souvent dit que mes précédents spectacles avaient l’esprit d’un « laboratoire de la condition humaine ». C’est sûrement vrai, mais moi ce que j’aime faire au théâtre, c’est créer des objets qui interrogent notre regard et qui nous fassent vivre des expériences. Je cherche à construire un théâtre qui puisse nous faire face, un peu comme un OVNI qui débarquerait sur terre, et où notre rapport à l’objet n’irait pas de soi, devrait s’inventer au présent de notre relation, à l’instant même de notre perception… Le Théâtre comme un endroit où quelque chose lié à nous, nous regarde et nous dérange…

Alors pour cette création universitaire, je propose de placer notre rapport au théâtre un peu comme la science-fiction se place dans la littérature : en tant que questionnement, mais aussi comme un principe actif, un outil, un éclairage, un point de vue… Voire un virus contaminant peu à peu le champ du réel, constituant un système permettant d’appréhender, de dire le monde.

Dans ce projet, nous explorerons LA PAROLE comme un principe de vie, et nous créerons un territoire propice à l’affirmation d’un état d’être irrémédiablement parlant !

Nous jouerons avec la parole comme d’un phénomène vital au même titre que la respiration. Une parole détachée des exigences de la communication, détachée de tout effort volontaire, de toute décision… Un travail de la confusion et de l’épuisement à travers la mise en abîme d’êtres perdant toute notion de séparation entre parole et pensée, entre voix intérieure et voix communicante… Une parole en fuite… Un glissement du « je parle » vers un « ça parle »

Bref, la seule nécessité de devoir se constituer et s’affirmer en tant qu’être parlant

Pour cette création, nous ne nous trouveront donc pas face à une narration prédéterminée, mais face à un système évolutif qui structurera la présence sur scène et le comportement de ces étranges personnages

Ce projet ne mettra pas en scène un texte théâtral ou littéraire prédéterminé.

Et pourtant nous entretiendront la confusion entre texte écrit et parole improvisée

Au début, les acteurs improvisent : c’est clair ! À la fin, les acteurs parlent un texte appris par cœur : c’est sûr ! Mais entre les deux la frontière nous restera obscure… Un glissement se sera produit, mais sans pouvoir vraiment dire quand…

Tout n’est au fond qu’une histoire de déplacement, de dérive, de bascule, de métamorphose, de lâché prise… Entre deux certitudes, deux réalités, deux temporalités, deux mondes… Bref, une histoire d’abandon.

Ce projet compte aussi mettre en lumière de manière ludique, une certaine poétique des corps contemporains. Avec ce spectacle, je souhaiterais montrer une forme de vérité des corps dans ces êtres englués dans les questions et les contradictions de leurs parole, de leurs mots (et de leurs maux)

À travers cette création, je voudrais donner une existence théâtrale « monstrueuse » à ceux qui investissent toute une vie dans la parole et la pensée, ceux qui pensent et qui parlent comme ils respirent… Parce que ça leur semble être le plus important, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement…

On s’intéressera alors aux corps de ceux qui nous expliquent avec passion des choses qui leur semblent importantes et qui sont parfois difficiles à comprendre, aux corps de ceux qui nous demandent de leur prêter attention, aux corps qui se mettent en colère pour défendre une idée, aux corps révoltés… Mais aussi aux corps de ceux qui se sentent injustement attaqués, qui se défendent, se justifient et par là même s’enfoncent… Ces corps ne sont pas armés pour se protéger du ridicule et n’y échapperont pas. Corps empêchés, corps abîmés, corps qui se cognent… Bref je veux mettre en lumière des figures qui ne cherchent pas leur propre bien-être, mais qui sont contraints de soutenir leur tête, leur bouche parlante, et leur cerveau pensant.

Qu’est-ce qui peut se lire dans les corps quand la nécessité de parler et de penser occupe tout l’espace de la conscience ? Qu’est-ce qui peut se lire dans les corps quand la parole dépasse le niveau de la simple communication pour atteindre des sommets d’obsession, d’aliénation, de solitude ? Qu’est-ce qui nous trahit et nous révèle malgré nous aux yeux du monde, quand toute notre attention est tournée vers nos bavardages et nos pensées ?

Ce travail induira le fait qu’à partir de soi-même on peut représenter bien plus que soi-même.

Le spectacle se développera vers une cristallisation : Les corps ne pouvant plus que se rapprocher, se lier, s’accrocher les uns aux autres dans une solidarité d’espèce, un sentiment de race… Une communauté va se créer au sein même d’un arrêt, d’un oubli, d’un effacement du temps et de soi même… Cette humanité mise en scène, ne pouvant finalement s’unir que dans le partage du sentiment d’une perte.

Les Parleurs ont toujours parlé, ils parleront toujours. Ils n’ont plus rien à nous dire, ils parlent pour eux-mêmes, où plutôt quelque chose parle en eux. Ils parlent du fond des âges, ils parlent aux temps lointains, ceux du passé, ceux de demain, et vivent le présent comme un espace de résonance éternelle.

La parole partira alors en fuite dans une boucle sans fin, tourbillonnant à l’infini, brouillant notre perception du sens particulier en nous poussant au laisser aller d’une « écoute flottante » où apparaît un autre sens au-delà des mots

Ce qui se passera sur scène évoluera à son rythme vers son propre effacement, son propre enterrement, sa propre disparition…

Le temps va progressivement se dissoudre jusqu’à pouvoir enfin faire exister un sentiment d’éternité, et au final les personnages ne pourront plus que vivre en scène sur le fil d’un oubli…

La jouissance éternelle d’un « mourir quotidien » sous le regard du monde…

Il s’agira donc de mettre en scène une communauté d’êtres qui parlent dès qu’ils ouvrent les yeux ! Dès qu’ils ouvrent les yeux : ils ouvrent la bouche (et même quand ils dorment, ils rêvent parlent dans leur sommeil…)

Nous allons donc nous répandre avec délectation et sans retenue dans le monde de la parole folle, libre, ivre… Nous chercherons à faire exister et à donner à voir une collectivité de gens qui parlent comme ils respirent, qui parlent comme ils bougent ou comme ils dansent…

Nous naviguerons sur le cours du fleuve de la parole, une parole où les petits ruisseaux individuels se rassemblent dans un fleuve collectif : alors oui, parfois c’est une simple rivière, et parfois c’est un torrent, parfois tout s’éclate en cascades et puis d’un coup tout est à sec, parfois la parole s’accélère et explose dans la vitesse et dans l’ivresse, et puis on finit par plonger dans des eaux troubles, des eaux profondes… Mais jamais la parole ne s’arrête, même si parfois la parole sera sans voix…

Nous explorerons une parole détachée de toute volonté de communication… La parole pour la parole ! Nous laisserons libre cours à notre flux verbal : on se livre, et on ouvre sans complexe notre robinet à parole, et on se déverse sans s’arrêter, on laisse tout couler ! Il n’y aura aucune obligation d’intelligence, aucun jugement sur ce qui est parlé. L’essentiel sera de parler, d’aimer parler, d’en jouer et d’en jouir

Car parler, ce n’est pas seulement dire des choses pour communiquer. Parler, c’est quand même aussi l’occasion de s’écouter soi-même pour se comprendre un peu…

Nous confronterons aussi nos corps avec des actes réels,

Nous alternerons le choral et la solitude,

Nous naviguerons dans le silence, la musique, les orages et le bruissement du monde,

Et il y aura aussi des moments d’empêchements, où la parole ne sort pas, où les mots sont des maux, ou la parole est une angoisse, une impossibilité physique…

Il y aura des temps dans les corps de ces parleurs où la réalité nous échappe, où les corps sont comme ivres, drogués, hallucinés,…

Il y aura des gestes, des cris, du silence et des murmures…

Il y aura des temps où la bouche veut parler, mais le son de la voix n’arrive pas à sortir…

Et des temps ou la parole s’exprime, mais où il n’y a pas de son qui sort (comme dans un film muet)

Et il y aura aussi une place pour des figures pleinement muettes, des figures qui n’ont pas la parole, des exclus, des pauvres, ceux qui n’ont pas les mots, ceux qui n’y arrivent pas, et aussi les animaux qui grognent et les oiseux qui chantent…

Dans ce spectacle, la création sonore sera primordiale pour la mise en scène de ces êtres parlants… Il y aura de la musique à créer, des paroles à enregistrer, des sonorités à trouver, des respirations, des bruits du monde… Bref, pour ce spectacle, les créateurs sonores et les musiciens sont vivement les bienvenus

Dans ce travail, il y aura principalement 3 types de prises de paroles :

La parole improvisée

Nous partirons de deux principes simples :

- Le point dans une phrase n’existe pas ! Il n’y a que des virgules, la pensée de la phrase ne se clôture jamais !

- Et puis le principe que la parole précède l’idée : de la même manière que l’appétit vient en mangeant, les idées nous viennent en parlant !

Alors il s’agira d’abord d’un jeu : on pioche un papier au hasard dans un saladier, on lit le stimuli et tout de suite on a quelque chose à dire, et comme on a toujours une opinion sur tout, des idées à développer, des choses à raconter, alors dès qu’on commence à parler, on ne peut plus s’arrêter !

(Les sujets seront tirés au sort en direct pendant la représentation)

Avoir une opinion sur tout - On parle sans s’écouter - Ne jamais tourner sept fois sa langue dans sa bouche - Ne pas penser à ce qu’on dit - Ne pas douter d’avoir toujours raison - Donner les signes du dialogue mais continuer son monologue - Ne pas chercher à mentir mais ne pas se soucier de la vérité - Être subjectif, jamais d’objectivité...

La parole préparée (travail d’écriture, de canevas)

Ces prises de parole auront été préparées au cours du travail. Il s’agira principalement de « porter plainte », d’établir des sortes de « doléances contemporaines »… Cette prise de parole pourra aussi s’engager dans des vérités plus personnelles (des affirmations de soi, des aveux, des confessions, du secret et de l’intime…) Mais elle pourra aussi s’engager dans des récits sur le réel, des amorces de fictions, ou des paroles poétiques…

Là, il n’y aura pas de hasard, chacun écrira ou établira par avance le canevas de sa prise de parole. Ce travail d’écriture se fera individuellement et collectivement.

La parole apprise (textes appris « plus-que-par-coeur »)

Cette parole sera tirée d’une matière littéraire écrite

Il sera impératif d’avoir appris le texte « plus-que-par-coeur » pour être persuadé sincèrement de l’avoir écrit soi-même, et plus que ça, de l’inventer au présent de la prise de parole…

Ce texte sera partagé entre tous (travail à la fois individuel et choral)

Laurent de Richemond

production : Compagnie Soleil Vert / Université Aix-Marseille / Théâtre Antoine Vitez