Témoignages / Presse

témoignages : Louis Dieuzayde / Loup Balthazar / Jesshuan Diné / Danielle Bré / Jasmin Limans / Frédéric Pichon

presse : Chris Bourgue - journal Zébuline

témoignages des artistes du spectacle : Stéphanie Louit / Sébastien Bruyère / Nicolas Rochette / Peggy Péneau / Laetitia Langlet / Camille Radix / Daphné Soriano

Ce projet, nous l’avons d’emblée apprécié à la lecture du dossier très éloquent que tu nous avais envoyé, notre intérêt s’est confirmé lors d’un entretien avec toi et Stéphanie Louit, sujet-objet de cette étrange réalisation, puis nous avons assisté à la Distillerie en avril 2022 à une sortie de résidence qui nous a durablement charmés et accrochés.

Faire théâtre par le portrait cubiste d’un sujet pleinement vivant et exposé sur la scène est déjà en soi un enjeu pertinent. Ses paroles, directes et frontales, se confrontent aux bribes d’entretiens enregistrés opérant ainsi une dissection des éléments de la vie et de la construction psychique mais aussi physique de la personne occupant le plateau. Une insolite ouverture à l’autre mais aussi de l’autre, singulier mais non exceptionnel, se pratique devant nous en toute simplicité et pourtant sans aucune indécence. Ce travail va toutefois plus loin encore.

Car cette auto-analyse en direct se conjugue étonnamment, de par les présences le plus souvent muettes qui l’accompagnent, semblent comme la peupler puis la désertent rythmiquement, à une sorte de dialectique en acte de l’anonymat et de la singularité. La façon dont un sujet agit sur les gens qui l’entourent, la façon dont les êtres environnant hantent et habitent tout sujet, tous ces mécanismes si latents et invisibles prennent ici forme et figure dans le mystérieux ballet que tu as su agencé en prenant, semble-t-il, à la lettre cette expression de « suivre quelqu’un ». De fait, le langage scénique emprunte tout autant au théâtre, à la danse qu’à la performance : sur une playlist combinant musiques disco, pop et de variété, un mouvement collectif des corps se crée, se dissout et finit par isoler Stéphanie un certain laps de temps jusqu’à une nouvelle vague dansante que l’on voit toujours se former peu à peu. Il est difficile de cerner au sein de cette dramaturgie chorégraphiée en quoi les acteurs sont-ils aussi passionnants à observer. Sans doute est-ce l’anonymat résolu qu’ils travaillent sur eux-mêmes, l’extinction de leur expressivité qui sculptent d’ailleurs d’autant plus la phénoménalité de leur corps et qui aiguisent le regard porté sur eux. Peut-être est-ce aussi cette mise en retrait consentie, ce « suivisme » théâtral orchestré pour mieux étudier le façonnement d’une personnalité et de son interaction avec les autres qui détonne et qui interroge anthropologiquement les manières dont une communauté se constitue…

Comme on le voit, ce travail inscrit donc des interrogations bien vivaces. Probablement parce qu’il réussit une rare alliance entre les plans conceptuel, corporel, sensoriel et surtout qu’il fait bouger voire qu’il réinvente une théâtralité par la force intrinsèque de son projet et l’engouement des acteurs qui s’y sont manifestement attachés.

Louis Dieuzayde - Président du Théâtre Antoine Vitez - Aix en Provence

« Suivre Quelqu’un » est un ovni qui m’a laissé des empreintes profondes dans le corps et dans l’esprit. De métamorphose en métamorphose, on suit quelqu’un, en l’occurrence, Stéphanie, ses pensées, ses visions, ses écueils et ses drôleries. Petites histoires toutes simples et singulières d’un être pris au hasard parmi les huit milliards. Vibrant d'amour, Laurent de Richemond met en scène cet humain et en manifeste la quintessence. Une troupe intime danse les formes kaléidoscopiques de cet être multiple qui devient peu à peu personnage. Auto-fiction où se mêlent sans cesse le sublime et le dérisoire. Comme en chacun de nous. Une magie bizarre et souterraine opère pour qu’à la fin, comme un aimant, la salle se lève et vienne danser sur le plateau le mouvement suivant. Je cesse alors un instant d’être moi et me glisse dans les pas de l’autre. Quelle tranquillité ! Quelque chose, un phénomène, s’exprime alors sur le plateau. Le théâtre d’une présence. Magnifique de simplicité et de profondeur.

Loup Balthazar - spectatrice

« Suivre Quelqu’un » est, je dois bien le reconnaître, l'un des meilleurs spectacles qu'il m'a été donné de voir ces quelques dernières années, à mon sens !... C'est subtilement drôle, engagé (pas au sens d'un quelconque militantisme, je parle bien de l'engagement des actrices et acteurs au plateau), pas bête, touchant, original, charnel... et j'en passe !...

Loin de la majorité des actuelles productions théâtrales de plus en plus formatées qui rivalisent de consensualité (j'entends : enfonce des portes ouvertes sur des sujets pas vraiment politiques mais passent pour l'être et finissent par prêcher des convaincus) sur les scènes nationales et conventionnées !... Là c'est du hors-norme, du faux vrai ou du vrai faux, qui joue avec le voyeurisme et la notion d'individu, de point de vue, sans en faire tout un patacaisse, et ça c'est précieux !...

Jesshuan Diné - spectateur - facebook 01/11/23

Suivre quelqu’un a été pour moi un moment de théâtre extrêmement bienvenu ce qui m’arrive rarement depuis quelque temps. Je me suis à la fois divertie et j’ai aussi jubilé à la réception d’une parole, au vrai sens de ce terme, sincère et primesautière et d’une pensée en acte qui ne prétendait pas produire de la vérité mais simplement utiliser gracieusement pour le plaisir cette capacité humaine.

Le propos est original : se livrer devant et avec nous au portrait d’une personne réelle. Qui ? Simplement une personne relativement anonyme qui n’est ni une célébrité bankable avec une large couverture médiatique qui pourrait prétendre à un biopic, ni une personne relevant d’une communauté discriminée, une victime à défendre. Alors qui ? Cette personne vit à Marseille aujourd’hui, elle un nom : Stéphanie Louit. Elle est sur scène et est très active dans la réalisation de son portrait. Autour d’elle, des autres (amis et relations), très différents des uns des autres : collègues de travail croisés plus ou moins souvent sur les plateaux, ou sur d’autres lieux de travail, anciennes amours devenues amies, comédiens et comédiennes amateurs avec qui Laurent de Richemond a travaillé. Tout cela est effectif, et sent son ethnie d’origine dans le peuple du théâtre.

Est-il question ici de célébrer un fois de plus l’Individu pour dénier l’irrespect dont celui-ci est l’objet dans la réalité, et de se rassasier à l’envie d’une pseudo convivialité genre diners de cons ?

Eh bien non ! En tout cas le portrait de cette anonyme tel qu’il nous est présenté ici détruit toute référence aux amitiés « facebookiennes » et autres réseaux où l’afflux de confidences toutes faites sont livrées sans retenue sur des murs personnalisés. Ces murs finissent au bout du compte par boucher tout horizon sur l’autre en créant paradoxalement des frontières et de la différence en hypostasiant le moteur du lien.

C’est qu’ici, si l’air du temps est présent, il n’est pas là convoqué de façon volontariste, par la positivité sociale ambiante et la contagion virale espérée ou supposée mais seulement par ce qu’il y a là des corps présents et des corps du présent qui respirent un même air, le même que nous. Mais là, placés en situation de théâtre, ces corps le dépolluent cet air. Ici, le mimétisme des gestes fait loi mais on s’aperçoit que cela renforce la perception singulière des corps de chacun. Ici l’opinion (instance légitime de la démocratie) montre son vrai visage arlequin et manifeste sa naïveté versatile, combattante et soumise, sensible et cynique, en particulier son culot à assumer ses contradictions, tout ce qui est, en fait, son innocence. Bref, un Je et un Nous impurs dont la seule sacralité est son actualité vivante.

Je pense soudain, à Labiche, grâce à ce spectacle. Je me dis que ce portraitiste avec ses vaudevilles peu valorisés par les élites culturelles, a dû développer, en son temps, fidèle à la malice de sa seule perception, la même capacité à embarquer son public de bourgeois dans leur propre anthropologie, et à favoriser alors une vision du monde reposant sur le bon sens, le refus des vaines polémiques et de la sacralité des positions.

Suivre Quelqu’un ne pose ni question ni réponse, ce spectacle exerce une musculature de liberté non romantique, loin de tous les binarismes et des manipulations émotionnelles tragiques. C’est une échappée belle qui nous manque fort aujourd’hui dans cette façon de traiter à la sauce Louit-de Richemond un air du temps aliénant.

Du coup, moi une militante du service public, je me dis que tant que le théâtre sera vif ainsi, et ses artistes fidèles à leurs propres envies, la sclérose du service public de la Culture ne sera grave qu’économiquement (mais sans se rendre compte de la cause du grave gaspillage qu’elle produit). Bien sûr, puisque les artistes qui sont aujourd’hui publiquement subventionnés ne le sont le plus souvent que selon leur capacité à s’inscrire dans les politiques culturelles publiques qui sonnent bien idéologiquement (mais c’est tout), et nageotent comme ils peuvent dans les impasses de la démocratie.

Laurent de Richemond qui depuis quelques années fréquente souvent Dostoïevski, Fritz Zorn, Robert Walser, et approche, en la ressentant lui-même, la lucidité amère de ces auteurs du début du vingtième siècle, a aussi une autre démarche de production, plus ouverte, faite de performances groupales impertinentes, dans des espaces le plus souvent non théâtraux. Suivre Quelqu’un s’inscrit dans cette démarche. C’est dans ce pan de son travail qu’il a croisé le théâtre amateur, à l’origine très en amont de Suivre Quelqu’un.

Ces escapades, hors du théâtre institutionnel, sont indirectement produites par le peu de confiance et d’aides accordées aux compagnies théâtrales de création. Les programmateurs vivants principalement de subventions font des choix compatibles avec les politiques culturelles publiques actuelles qui ne légitiment pas tous les créatifs.

Il y a donc nécessité de survie intérieure pour les artistes de s’engager dans d’autre voies, comme ici, non pas celles qui peuvent être rentables en termes de production mais celles qui, en bas de page, écrivent un présent possible et témoignent de la vitalité actuelle du théâtre. Le théâtre retrouve (on le voit bien dans Suivre Quelqu’un) son espace propre, sa capacité à plaire en pensant, et à penser à plaire.

Alors chers camarades spectateurs, réclamez Suivre Quelqu’un aux Théâtres que vous fréquentez et accepter de moins en moins, quand vous allez au théâtre, qu’on vous serve de plus en plus un catéchisme culturel issu d’une foi républicaine affaiblie.

Danielle Bré - militante du service public de la culture, ancienne directrice du Théâtre Antoine Vitez et de la formation théâtre à l’université Aix-Marseille

En-quête de l'autre

Les personnages se suivent et ne se ressemblent pas - ils se rassemblent. Autour d'un corps, d'un nom, d’une identité, humaine et singulière. Comme les particules élémentaires circulent et dansent autour d'un noyau d'être, dans l'effusion d’une parole.

C'est une recherche. Une enquête. Un jeu de piste. Une cure analytique. Une secte virtuelle. C’est un miroir troué et on s’identifie. Ça fait partie du je(u). C'est une mémoire de la peau, un parchemin de geste, un manifeste existentiel. C’est une représentation du monde qui ne serait pas une illusion ou la fabrication d’une image.

Une image parlante comme une icône cachée impose cependant un temps de réflexion : La scène est un non lieu, un espace d’abstraction où le sujet se fige, s’abime et se déforme dans une analyse traversée, transpercée de toutes parts.

Suivre Quelqu’un évolue par répétition. Dans des actions de chaque jour, des gestes ressassés. Comme on s'habille, on se déshabille, on se risque à la parole. C'est comme une conjugaison de pronoms personnels, grotesques et émouvants, fragiles et héroïques. Au singulier comme au pluriel. C'est un travail de tous les genres, qui marchent ensemble et qui s'écoutent.

Et l'on entend Stéphanie. On la suit. On chante même avec elle. Le quart d'heure de célébrité est presque continu. Il ne s’allonge plus sur le divan. Il revendique son droit à carnaval, à la beauté des masques, des déguisements d'enfance. Corps et visages confondus. Le roi est nu. C'est une reine et il danse. Il n'y a plus de pouvoir. Plus de manipulation de la personne. On tient l'ego par le bout de son nez. On lui fait face et l'on joue. Avec lui. Doucement. Il ne s'agit pas de briser l'être plus qu'il ne l'est déjà. Bien au contraire, on laisse passer, de la lumière, dans ses plaies. Ses cicatrices. Dans ses creux, ses vides. Ses trous. Ses gouffres. Ses absences. Sa difformité. Sa différence. On fait comme ça, l’air de rien, sans se prendre au sérieux, simplement. Une communauté avec des joies et des blessures. Et tout se voit, tout se suit, se déplie, ténèbres et grâce.

Dans cette lumière obscure. On n'hésite pas ici à en faire trop. Cow-boy, Clown, Pingouin, Carotte, moustaches et chemises à carreaux. Uniformes dépareillés. Il faut peler toutes les couches de l'oignon. La peau est sur la table. Les yeux nous piquent un peu. On rit beaucoup. On se moque souvent. Doucement. Avec une bienveillance vraie. Parce que l'autre nous ressemble.

On aimerait tous, alors, suivre quelqu'un. Le suivre dans ses méandres, ses sentiers de travers, ses voyages dans sa chambre, son chemin intérieur. Le suivre pour le guérir de soi, de nous. De cette belle et trop sensible, maladie humaine qu'est la vie quelquefois. Dans ces lignes de failles. Prendre la fuite avec lui. Réparer le cours de choses. S'oublier. C'est une voie dans ce chaos de voix humaines. Un voyage chamanique. Dans la chambre de l'âme. Une perle dans une huître. Des coquilles cassées. Des armures transpercées. Une transe moderne, populaire et bizarre. C’est une fête. Un portrait de la vie. Une photographie musicale. Une parole dansante. Un chant de canon à l'unisson. Des êtres qui se retrouvent dans cette parole de l'autre. Une route vers soi-même. Comme un trait d'union. Une rencontre. Riche. Tellement riche. De toute sa pauvreté. De ces anecdotes dérisoires de cette vanité douce et incurable. De ces histoires de culs, ces preuves d’amours, ces dépressions anticyclones et autres champs célestes ou magnétiques. Ces lois de l’attraction terrestre et de sa gravité, toute relative.

Jasmin Limans - spectateur et poète

Parfois les mauvaises choses peuvent avoir du bon. Ainsi lors du confinement, Laurent de Richemond, comédien et metteur en scène de la compagnie Soleil vert, a engagé un dialogue avec une comédienne amie, Stéphanie Louit, dont le parcours peu commun l’intriguait. De questionnements en confidences, la parole s’est libérée jusqu’à devenir un texte proposé comme thème de travail et de recherche à une équipe volontaire et enthousiaste composée de cinq femmes et trois hommes. Plateau nu, trois chaises, lumière crue. Stéphanie joue son propre rôle, évoque son enfance, ses études, ses errements, ses doutes, son homosexualité. Durant plus de deux heures c’est son portrait qui se dessine par sa parole et le regard des autres. Elle est « l’objet-sujet » du spectacle, revendiquant un genre entre deux genres, et leur mélange. Laurent de Richemond a voulu faire un portrait à la façon cubiste, sous plusieurs angles et divers profils. Ainsi, au cours de la représentation les comédiens changent de costumes. Tantôt tous en femmes avec prothèses mammaires pour les hommes, tantôt tous en hommes ; dans ce cas, les femmes roulent un bout de tissus pour simuler le sexe qu’elles n’ont pas. D’autres fois, tout le monde est torse nu. De nombreux déplacements dansés avec marche chaloupée et gestes balancés évoquent par moments une chorégraphie de Pina Bausch tandis que la bande-son diffuse des paroles de Stéphanie enregistrées, des bruits de la nature, de la musique. Une communauté bienveillante se crée devant nous, chacun des éléments suivant l’autre, accueillant sa différence, inventant une autre forme de relation. À la fin, le public est invité à entrer dans le mouvement. Instant quasi magique.

Chris Bourgue - journal Zébuline - 28/07/22

Le weekend dernier j’ai été invité à participer à deux jours de travail avec l’équipe de « Suivre Quelqu’un », le nouveau spectacle mis en scène par Laurent de Richemond et j’en ai été bouleversé. Moi qui croyais retrouver la curieuse planète de cet entomologiste de théâtre qui tisse ses mises-en-scène comme des toiles d’araignée, en systèmes, mécaniques et rituels dans lesquels l’humain est placé et contre lesquels il lutte à l’aide de la seule arme dont il dispose vraiment, la puissance de sa parole. J’avais oublié que depuis longtemps déjà la planète de Richemond avait quittée son orbite et ne tournait plus tout à fait autour du soleil de ses obsessions. Son théâtre avait muté en quelque chose que je ne pourrais pas définir autrement que comme « expérience ». Une expérience où tout se mélange joyeusement : parole intime, déguisement, nudité, stéréotype. Le tout baigné d’une dérision affectueuse et dansante. Une expérience du monde que nous habitons tous avec plus ou moins de sincérité. J’ai pu voir au cours de ces quelques heures en compagnie de l’équipe artistique de « Suivre Quelqu’un » des artistes approchant la vérité de l’instant, celui des individus en présence et j’ai eu le sentiment que ces gens étaient en train de créer un objet qui les dépassait de beaucoup, comme un petit moment de notre humanité.

Frédéric Pichon - complice du travail

« Je suis très heureuse de suivre et d'être suivie, de ce lien étrange que nous avons fabriqué les uns avec les autres. Dans ce projet, nous existons tous de façon illimitée. On se suit tous pour finalement être ensemble, et c'est à la fois si simple et si évident, si mièvre et si naïf, que tout me paraît d'une absolue vérité. Dans ces heures particulières où nous vivons dans ce qui me semble être un ersatz du monde, la vérité de l'instant est inestimable »

« Suivre Quelqu’un » c'est une sorte de récit gesticulé de ma personne mais au-delà de l'intérêt qu'on pourrait porter à une vie ordinaire racontée de façon extraordinaire, il est surtout question du lien. Le lien de Laurent de Richemond avec ses comédiens et des comédiens entre eux. Le lien je crois que c'est la base. Cela nous parle du un et du tout. Chacun suit et est suivi. Tout le monde est tout le monde et pourtant personne ne ressemble à personne… Finalement la chose la plus évidente qui nous lie c'est d'être parfaitement ensemble en un temps précis ou plutôt précisément ensemble hors du temps. Ça nous raconte l'humanité telle quelle est : étrange, velue, pathétique et sublime. Une humanité qui possède d'étranges corps, visages et langages. Dans les créations de Laurent, je crois qu'on est face à une sorte d'humanité jamais vu auparavant…

Laurent de Richemond est, avant tout, un chercheur. Il cherche quelque chose et nous cherchons avec lui. Ce qu'il cherche est toujours innommable, compliqué aussi… Il nous alimente en projections, en détails, en fictions pour tenter de voir, même un court instant, ce qu'il cherche. Il ne nous laisse jamais en carafe ; Et dans cette incompréhensible recherche jalonnée de repères, chacun appréhende librement ce qu'il veut et a toujours l'impression de participer activement à cette recherche commune. Étonnamment, c'est parce que chaque acteur est libre que nous apparaissons tous dans notre singularité et notre solitude. C'est cette maladresse du lien, je crois, qui est aussi recherchée. C’est donc à la fois rare, précieux et presque accidentel.

Dans ce travail, je me retrouve dans l'exploration de la nuance... et si je regarde les synonymes de « nuance » je nous devine dans chacun des termes : dissemblance, bémol, variété, degré…

Le réalisateur, Bruno Dumont, nous dit : « Le drôle, c'est un degré du drame. Il suffit de pousser un peu le drame et on tombe dans le comique. », et les propositions de Laurent se situent dans le degré de toute chose humaine, un pas de côté, dans les facettes de nous-mêmes innombrables et multiformes. Ce qui est donné à voir est sans compromis, ce n'est pas un théâtre aux lumières condescendantes, c'est un théâtre radical qui saisie, qui cloue ; enfin c'est un théâtre qu'on éprouve à l'instant, acteurs et spectateurs ensemble et néanmoins dans deux espaces clairement séparés.

En bande dessinée, l'action se trouve souvent entre les cases, dans le vide de deux dessins figés : la compétence de l'auteur réside en sa capacité à découper correctement son histoire pour que le lecteur puisse se fabriquer tout seul les ellipses. Le théâtre de Laurent de Richemond, me semble-t-il, est composé d'« entre-case », d'interstices et d'ellipses : ce qui se trame dans ses spectacles est intime et inconscient.

J'assume pleinement d'être au centre de ce projet ! Et dans ce travail qui « tourne » autour de moi, je me sens simplement « réelle »… Ni bonne, ni mauvaise, je ne crains aucun jugement car je me sais incomparable. J’essaie d’être au plus proche de ma vérité et ce que j’éprouve devient alors universel et commun. Curieusement, je suis très pudique mais ce que je raconte de moi ne m'appartient plus, et parle à coup sûr de tous les autres… Je suis très heureuse de suivre et d'être suivie. Je suis très heureuse de ce lien étrange que nous avons fabriqué les uns avec les autres. Dans ce projet, nous existons tous de façon illimitée.

Vraiment c'était tellement bien... Ce travail est extrêmement agréable, je crois que nous vivons une sorte de transe, un parfait oubli de soi brassé dans cette singulière communauté… Tu sais c'est étrange ce travail parce ce que ça me procure un grand sentiment de fierté quand je vois tous ces gens si beaux rassemblés sur le plateau autour de moi ; mais comme c'est aussi pour ton travail qu'ils sont tous là, ça nous lie plus encore toi et moi et comme au final dans « Suivre Quelqu’un » on se suit tous les uns les autres et bien on est finalement ensemble pour être ensemble. Et c'est à la fois si simple et si évident, si mièvre et si naïf, que tout me paraît d'une absolue vérité. Dans ces heures particulières où nous vivons dans ce qui me semble être un ersatz du monde, la vérité de l'instant est inestimable.

(message envoyé par Stéphanie Louit à Laurent de Richemond après la première période de travail)

Stéphanie Louit - actrice, figure-personnage-personne au centre du projet

C’est curieux de rentrer dans l’intimité de quelqu’un en l’écoutant raconter sa vie, tout en suivant ses mouvements. Il y a une espèce de double connivence qui s’installe. En dehors de l’aspect esthétique indéniable et hautement photographique d’un choeur de personnes en mouvement, on devine sur les visages des suiveurs une attention particulière. On ne sombre jamais dans le voyeurisme. Le fait de bouger en compagnie de la principale intéressée nous transforme en quelque sorte comme un élément à part entière de cette confidence.

Sébastien Bruyère - acteur sur les premières étapes du travail

« Suivre Quelqu’un » est un projet qui fait le portrait de Stéphanie Louit et qui tient sur deux axes majeurs connectés mais indépendants.

D'abord la bande-son, qui est constituée d’un mélange de musiques, de bruits du monde, et de témoignages de Stéphanie. Puis le plateau où les interprètes sont animés d'une consigne simple et secrète qui les fait se mouvoir dans un espace hors du temps et du monde. Le spectateur est libre de passer de l'écoute au regard selon son envie. Parfois, il peut même faire les deux. Il peut aussi oublier ce qu'il veut suivre et s'égarer complètement dans la contemplation. A la manière d'un groupe de jazzmen - et mis à part quelques rendez-vous déjà préparés - les acteurs improvisent et se mettent en quête d'un groov corporel, d'un mouvement mystérieux qui n'est ni initié, ni connu par personne. C'est un effort permanent qui exige pourtant l'abandon, tout geste trop zélé pouvant briser le mouvement commun.

On entre alors dans une sorte de transe, comme regarder l'horizon du désert en plein soleil, et les silhouettes se fondent dans une chorégraphie brumeuse, les voix et les instruments se font plus lointain… On est bercé. Langoureux. Puis sans que l'on la voit venir et pourtant jamais abruptement, une image se précise, claire, limpide et solide. Elle tient quelques secondes, parfois quelques minutes et vient à nouveau se dissoudre dans le reflux du plateau, de la mémoire et du rêve.

Aucun individualisme, aucun égo n'est toléré trop longtemps. Et pourtant rien de militaire ! Pas de culte de l'efficacité et du « regardez-comme-on-travaille-dur ». La maladresse est en effet plus inspirante que la réussite. Et pourtant c'est extrêmement égoïste. Il n'y a pas de fierté à être ensemble, juste une tolérance, parfois une brève admiration pour un mouvement, un agacement pour un autre. Et de temps en temps, une sensation de grâce où l'on flotte tous ensemble, mais où l’on reste définitivement seuls.

Suivre quelqu'un qui suit quelqu'un qui suit quelqu'un qui vous suit…

On suit un peu le fantôme de soi ?

Nicolas Rochette - acteur, créateur lumières et régisseur

Avec Laurent de Richemond, tout a commencé, il y a aujourd’hui 17 ans, avec le projet « Tout doit Disparaître : La Vitrine ». Un projet fou et rassembleur, début d’une aventure déclinée en de multiples expérimentations…

Eloge de la lenteur et du temps suspendu ou distordu (sensations vérifiables par la présence presque systématique dans les oeuvres de Laurent de Richemond, d’une horloge donnant la vraie heure), de l’annulation ou l’abstraction de soi, à (se) donner, à (se) montrer… Une ambiance sonore, en prise avec notre folklore contemporain, nos référents… Ce qui se joue de l’intérieur, se joue pour l’extérieur de la même manière.

Le spectateur nous dit être happé par ces tableaux légèrement mouvants, vivants au minimum, parlant peu, pas, ou trop, jusqu’à ce qu’il se fasse attrapé par une effraction claquante pour mieux se refaire engloutir dans les limbes du presque rien, qui est déjà beaucoup.

Le projet « Suivre Quelqu’un » poursuit la quête de Laurent, trouver la juste présentation de corps délivrés de toute action volontaire de représentations traditionnelles, accepter d’être une masse au service de la masse et guidée par la masse, afin de faire émerger une singularité : Stéphanie !

Et, on va avoir du mal à se débarrasser d’une certaine idée de la représentation, c’est du boulot, mais on va dé-jouer avec …

Peggy Péneau - actrice

Après avoir vécu l’expérience du projet « La secte », quand Laurent m’a proposé de travailler à nouveau avec lui dans « Suivre Quelqu’un » j’ai tout de suite dit oui, sans réfléchir. C’était une évidence pour moi, j’avais envie d’en être. En tant que comédienne, ce qui me plait dans la recherche artistique de Laurent c’est que ça déplace ma pratique vers un ailleurs. Mon métier c’est l’art de la représentation, on dit bien une représentation théâtrale, mais ici c’est autre chose… Ce n’est pas une représentation à proprement parlé mais un moment vraiment hors du temps. Nous n’avons rien à « jouer », on se montre sans fard, sans techniques, sans artifices. Quand on est comédienne on porte un propos, on a la responsabilité d’un acte, d’un geste artistique. Ici on oublie ce qu’on a appris. Ici ça ne produit pas, ça est ! Ça change le rapport au monde, on sort de cette société où tout est question de production, produire ! Ça vit au présent. On oublie la notion du temps, un travail de l’instinct, dans le sens animal. Ça bouge, ça fait des gestes, ça parle. On suit ce qui vient, on ne sait plus si ça vient de nous, de l’autre. On se laisse aller, sans peur du nul ou du mal-faire. On a une conscience instinctive du groupe, un peu comme les vols d’étourneaux, l’interconnectivité des cellules. On est plusieurs comédiens au plateau, et bien qu’on soit ensemble, c’est plein de solitudes qui crée un ensemble. On est seuls, on est ensemble, on est seul ensemble et c’est beau. Bien qu’il y ait un canevas, des rendez-vous au plateau, une velléité de construire une œuvre de la part de Laurent, il y a une très grande liberté pour les comédiens. On se laisse porter par ce « mouvement » que Laurent cherche avec nous. Une liberté à être simplement. On se montre tel qu’on est, un théâtre de la monstration et non de la représentation comme je disais tantôt. On s’expose au regard. Le travail de Laurent est comme une exposition d’être humain, une exposition du vivant, de l’humain, de ce qui fait humanité. Alors oui, « Suivre Quelqu’un » c’est suivre Stéphanie, c’est montrer la vie d’une seule personne. Mais sans en faire la démonstration. Par des images, un travail sonore, par bribes, on a des bouts d’elle, on a accès à la vie de quelqu’un sans voyeurisme, on a accès à son intimité sans s’en rendre compte. C’est comme si on avait un condensé d’une personne, de son essence. Mais le travail de Laurent en fait quelque chose d’universel. Au-delà de Stéphanie, ça parle de nous, de ce qui fait un être, ça parle de la vie.

Laetitia Langlet - actrice

Je rencontre le travail de Laurent de Richemond lorsque je découvre « La Secte ». C’est immédiat, je veux faire partie de ce travail. C’est un choc, une parenthèse hors du temps où les acteurs au plateau sont tout à la fois absents au monde et en ultra présence. Il y a dans le travail de Laurent une sorte de recherche de perte de soi, d’abandon de son unicité au monde, pour retrouver une forme d’appartenance à un ensemble. Se crée alors sur le plateau une communauté d’êtres dont l’initiative personnelle est totalement évacuée pour laisser place à l’apparition d’un corps commun en mouvement.

En tant qu’actrice j’ai toujours eu beaucoup de mal à ne pas me sentir comme une force de proposition mais avec Laurent je découvre les joies d’être transportée et traversée par mille émotions sans avoir pris une seule décision. Le parcours est clair et commun à tous, et à l’intérieur se vit pour chacun des chemins différents.

La force du travail de Laurent réside dans sa quête de se mettre à l’abri des bruits du monde, de se retrouver seuls mais ensemble, de se laisser voir en oubliant les artifices du théâtre, de faire un pied de nez à la temporalité pour se laisser dériver petit à petit vers un espace intime et sensible.

Camille Radix - actrice

« Suivre Quelqu’un » est un projet qui suit un processus extrêmement fragile. Un rien suffira à le faire exister ou au contraire à le faire sombrer. C’est cette fragilité qui, à mon sens, le rend extrêmement précieux. Le travail sur la scène se déploie comme un petit miracle, comme ces fleurs qui ne fleurissent qu’une fois par siècle dans des conditions climatiques très spécifiques. Ce déploiement s’opère lorsque est trouvé un équilibre parfait entre individualité et collectif.

Si chacun suit quelqu’un, la responsabilité de l’acte se perd vite. Déculpabilisé, le mouvement perd alors toute gêne, n’étant que la réinterprétation de celui d’un autre. Mais la déresponsabilisation a une conséquence intrigante : l’intérêt du travail tient à un fil, il suffit d’un gravillon dans la machine pour que celle-ci se grippe entièrement, et il devient vite impossible de trouver où se situe l’accident. Le sentiment d’un manquement collectif est toujours prépondérant ; lorsque ça ne marche pas, on ne peut être le seul fautif. C’est l’inverse du sang contaminé : personne n’est responsable mais tout le monde est coupable. La perte de responsabilité a dilué les individualités dans le collectif de manière quasi mécanique, sans forcer la chose, indépendamment de la volonté de chacun.

Et pourtant, ces individualités restent primordiales dans la réussite du projet. C’est le sentiment de solitude qui permettra de sortir de l’aspect performatif et spectaculaire. Car il ne s’agira jamais (presque jamais) d’une « chorégraphie » au sens convenu du terme, comme un ensemble de mouvements, même improvisé. Et c’est ici que, paradoxalement, la triche prend toute son importance, me semble-t-il. La comparaison avec l’homme ivre invite à prendre des libertés avec des directions qui peuvent sembler parfois contradictoires, mais uniquement parce qu’elles possèdent, prises dans leur ensemble, un fonctionnement organique, où le ressenti de l’acteur-danseur permettra de jauger laquelle des forces privilégier. Ainsi, si le volontarisme au plateau n’est pas du tout encouragé, celui-ci permettra parfois de débloquer une situation, de lancer une impulse vers une direction inattendue. Egalement, alors même que chacun doit pouvoir se mouvoir dans une direction légèrement différente des autres, en esquivant la tentation du trop « théâtral », c’est parfois le simple plaisir du jeu, la jouissance du « Joga Bonito » (Le « bon jeu » - expression utilisée dans le football), qui provoquera le passage vers un nouveau palier.

Daphné Soriano - actrice